CRBO mon amour (#vis-ma-vie-d'ortho)

[une note entièrement illustrée avec des mêmes de ze internet bricolés à l'arrache sur memegenerator.net, j'ai un peu honte...]

Bon, faut avouer, depuis qu'on est masteurisé-e-s, je ne la ramène plus trop sur les brèves de boulot.
Mais là, quand même, ça me trotte dans la tête depuis un bon moment. Parce que ça me pollue la tête bien trop souvent !
De quoi parlons-nous ? Non, mais, eh, t'as lu le titre ou bien ? Des CRBOs ! 
 

Ah, les CRBO... Je les appelle les CRyBtOnites, et sous cet acronyme aussi laid que ce qu'il représente se cache la hantise des orthophonistes, le cauchemars des procrastinateurs, les devoirs-à-la-maison-que-même-quand-t'étais-au-lycée-ça-te-prenait-pas-autant-la-tête :
le Compte-Rendu de Bilan Orthophonique. *bruit de tonerre, musique flippante*
Aaaaaaaaaaaargh, à la lecture de cette dernière ligne, 5 orthophonistes ont glapi d'effroi devant leur écran, 3 viennent de fracasser leur PC portable en le jetant au loin par réflexe, et une autre est partie se rouler en boule dans le coin du salon, face au mur, en sanglotant.
J'exagère à peine.
Si un jour tu veux casser une orthophoniste, la faire taire parce qu'elle parle trop (oui, c'est une caractéristique de la profession), te venger des séances que tu as eu quand tu étais petit et qui t'empêchaient d'aller jouer au foot le mercredi, tourne-toi vers elle et, d'un air nonchalant, pose-lui cette question : "Et sinon, t'as combien de CRBO en retard ?". Normalement, elle devrait avaler de travers, ses yeux rouleront dans leurs orbites tandis qu'un air de panique totale s'inscrira sur son visage blêmissant, et tu seras tranquille pour le reste de la soirée.
Notons que cette question revient souvent également dans la bouche des orthophonistes qui se retrouvent en formation, en réunion syndicale ou au festival de rock chez Michel et Brigitte. Mais là, aucune nonchalance, plutôt un air inquiet et la voix qui baisse à la limite du chuchotement : "et toi, t'en as combien de retard ?", question derrière laquelle se cache le besoin irrépressible de se rassurer, dis-moi que toi aussi t'es à la bourre, que je ne suis pas seule, que je ne suis pas nulle mais juste débordée, qu'un jour j'y arriverai...
Notons également que les CRBOs sont TOUJOURS en retard. Pour hier. Ou pour la semaine dernière. Ou pour la réunion à laquelle tu as été invité hier et qui aura lieu dans 2 jours, facile. Bref, on ne s'en sort jamais. JAMAIIIIIIIIIS !!!

Bref, les CRBO, c'est la pollution de l'esprit des zorthos.
Même ZeC e a fait une nouvelle, c'est dire.
Mais pourquoi donc ? Bouge pas, j't'explique...

Alors voilà, les orthophonistes ne sont pas masochistes, non, ils sont seulement paramédicaux. Et donc, ils dépendent des médecins qui prescrivent les bilans orthophoniques et les séances de rééducation. Pas d'ordonnance, pas de rendez-vous. C'est l'jeu ma pôv' Lucette.
Tu vas me dire que bon, ok, c'est normal après tout, c'est comme le kiné, ou les médocs, ou une paire de lunettes. Soit. Sauf que pour te prescrire une paire de lunettes quand tu es myro, par exemple, tu ne vas pas voir ton médecin traitant, non : tu vas voir un ophtalmologue. Un spécialiste, quoi.
Parfois, tu peux faire pareil pour les séances de rééducation orthophonique : tu n'as plus de voix ? Direction l'ORL. "Oh, jolis nodules que vous avez là ! Allez donc voir un orthophoniste !" OK.
Mais le plus souvent, non.
C'est l'instit' de ton gamin, le forum doctissimo (rhaaaaaa ! *pan*), la voisine, le cousin du prof de gym de ta boulangère par alliance qui te dis que pour ton problème, tu devrais aller voir un orthophoniste. Mais que d'abord, il te faut une prescription de ton médecin.
Et penses-tu que ton médecin généraliste sache ce qu'il en est de tes besoins en orthophonie ? Que néni. Le médecin généraliste, il ne peut pas tout savoir. Alors il te fait une prescription pour que tu ailles faire un bilan orthophonique, et si le bilan orthophonique révèle qu'effectivement, tu as besoin de séances, alors il te fera l'ordonnance pour les séances. Et comment il le sait que le bilan met en évidence un besoin de prise en charge ? ... Et ben voilà, il le sait parce que l'orthophoniste lui a envoyé un zouli compte-rendu de bilan, bien détaillé, avec les normes, les écarts-type, les déviations standards, les conclusions et le plan de rééducation.
Ouep, on met tout ça dans un CRBO. Pour te dire comme ça prend du temps...
Et le pire, c'est que quand y'en a plus, y'en a encore : des CRBO, faut en faire...
- pour le bilan initial (oui, oui, M'sieur le Docteur, y'a besoin !),
- pour le bilan de renouvellement (oui, parce qu'au bout d'un moment, quand même, faut voir si ça avance avant de continuer ou pas...),
- pour le dossier MDPH (le compte-rendu doit avoir moins de 6 mois, quand tu sais que dans certains secteurs c'est minimum 12 mois d'attente pour un rendez-vous... :/),
- pour la visite chez le spécialiste la semaine prochaine ("oui, on a le rendez-vous depuis 3 mois mais on n'a pas pensé à vous le dire, pourquoi ?"),
- pour monter le dossier de demande de rendez-vous auprès du Centre Référent des Troubles du Langage et des Aprentissages (car oui, il faut monter un dossier pour obtenir des rendez-vous où on refera d'autres évaluations qui, normalement, devraient aboutir aux mêmes conclusions que les bilans déjà effectués),
- parce que l'instit' il en voudrait un ("Non. L'instit' il mappelle si il veut qu'on en parle, mais le CRBO, c'est secret médical" s'empresse alors de dire l'ortho, trop content d'échaper à un énième CRBO à rédiger),
- pour la fin de prise en charge (mais là, je dois avouer, je ne connais pas beaucoup d'orthos qui fassent un compte rendu du bilan de fin de suivi, l'abnégation a ses limites),
- pour le plaisiiiiiiiiir ! ... Non, j'déconne. 
 

Alors certes, c'est pas la mer à boire non plus, nous ne sommes pas les seuls à devoir rédiger des courriers, non mais franchement, faut pas exagérer, quelle bande de chochottes ces zorthos, vraiment.
Ah oui mais effectivement, je me rends compte que j'ai oublié le principal dans tout ça : nos CRBO, on les rédige nous-même (oui, oui, toute seule comme une grande, sans secrétaire ni rien, hop, sans filet et sans les mains, youhouuuuu !) et en dehors de notre temps de travail.
Relis bien ces derniers mots...
Les CRBOs, on ne les écrit pas en séance. Ben non, en séance, on bosse avec nos patients on n'a pas le temps. Donc on se coltine ce chouette travail de rédaction entre deux rendez-vous, pendant la pause déjeuner, le soir quand les enfants sont couchés ou le week-end.
En gros, c'est comme les devoirs quand tu étais élève.
Tu te rappelles comme ça te faisait ch... mal de devoir te remettre à bosser après ta journée de cours, et le week-end, et les vacances qui n'en étaient jamais vraiment parce qu'il y avait toujours, dans un coin de ta tête, la liste des DMs à terminer, des leçons à réviser et des satanés exos à recopier sur la copie de Jean-Hubert, le premier de la classe qui est sympa quand même parce qu'il te laisse tricher ? Ben voilà, les CRBOs, c'est pareil. Mais sans Jean-Hubert.
Alors mes CRBOs, moi, je leur fais prendre l'air. Ça leur fait du bien, j'en suis sûre. Ils s'aèrent un peu. Je les glisse dans mon gros sac, et je les ramène à la maison. Ou en weeek-end dans le Nord, ou chez Mamie. Parfois même, j'ai l'audace d'en transporter quelques uns avec moi en vacances.
Crois-tu qu'ils se montrent reconnaissants ? Que dalle. Ils me narguent toujours autant.
Parfois, la nuit, je me réveille et je les entends qui m'appellent... Ils veulent sortir du sac. Ils sont là, tapis, patients, attentifs. Au moindre temps mort, ils surgissent dans ma conscience, se rappellent à mon bon souvenir, me filent des remords et m'envahissent la boîte à bonne humeur. Ils me rendent folle !
Ahem.
Une pause s'impose.
Intermède musical : 

Voilà, voilà...
Où en étions-nous, déjà ?
Ah oui, aux devoirs...
Franchement, tu en connais beaucoup, toi, des professions où tu as encore des devoirs à faire quand tu rentres à la maison ? Il n'y en a pas tant que ça. Il y a les enseignants, bien sûr : ils préparent leurs cours, corrigent les copies, tout comme nous préparons nos rééducations et rédigeons nos CRBOs. [Ouep, les instits' et les profs', on les aime quand ils sont d'accord avec nous, sinon bof. Et je suis sûre que je peux trouver cette même affirmation de la part d'un instit' qui parle des orthos. Tralalou.]
Si j'étais mauvaise langue, je préciserais quand même que les profs sont à 35h/semaine (si, si, j'parle des profs, ne riez pas au fond !), que ces temps de préparation sont compris dans leur temps de travail et qu'ils ont tout plein de congés payés, contrairement aux zorthos, mais je ne suis pas mauvaise langue donc je ne le dis pas, et puis j'ai des amis instits et même, MÊME, des amis profs, alors bon, non, hein, je ne le dis pas. Vraiment.
Bon, et à part ça ? Ben à part ça, moi, non, j'en trouve pas. Oui, j'ai envie de faire mon Caliméro ce soir, c'est comme ça. Sans rire, est-ce que mon pacsman ramène des pièces de chaudière à réparer le soir à la maison ? Non. Il a assez à faire avec la notre, ceci dit. Mais c'est pas pareil, point. 
Bon, avec tout ça, je ne sais plus où je voulais en venir, alors que j'avais un objectif très clair en commençant à écrire cette note (et non, ça n'était pas : trouver une excuse pour ne pas faire mes CRBOs... Pas seulement). 
 

Sur ce, je dédicace cette note à Vincenzo qui a 24 (!!) CRBOs en retard...
Et moi ? ... A 24h des vacances, je refuse de compter. J'ai un équilibre mental déjà précaire à préserver, merci.

Et la prochaine fois, si tu es sage, je te parlerai de la compta !