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lundi 20 octobre 2014

Les bateaux, les rames, les pilotes... et nous.

- Séco, Sécooooo !!!
Il est là, sur le trottoir, à me faire de grands signes des bras, à m'appeler, avec un sourire à tomber. Ça faisait si longtemps que je ne l'avais plus vu ! Il a, quoi, 16, 17 ans maintenant ? La dernière fois que je l'ai eu en face de moi, de l'autre côté du bureau et pas de la rue, il avait 4 ans de moins, et ça faisait autant d'année ou pas loin qu'il venait me voir toutes les semaines.
Je suis en voiture, je baisse la vitre et lui rend son salut :
- Hey salut Geoffrey, comment ça va ?
- Bien, bien ! Et toi ?

Mince, le feu passe au vert !
- Bien, bien ! Ça me fait plaisir de te voir !
La file de voitures avance déjà, la mienne suit le flot, doucement mais inexorablement... Geoffrey continue à me sourire et me lance :
- J'ai pas oublié, Séco ! Les rames ! Les rames !!!
Et il mime le rameur en plein effort, là, sur le trottoir, avec un sourire jusqu'aux oreilles, tandis que je m'éloigne. J'éclate de rire. Les rames ! Bien vu, Geoffrey !



Les rames...
Parfois, un petite histoire est plus efficace qu'un grand discours. Et moi, j'aime bien raconter des histoires. Aux petits, aux moyens, aux grands...
Oui, même aux grands.
Surtout aux grands !
Aux grands qui ont toujours un enfant caché à l'intérieur quelque part... Un enfant qui aime écouter des histoires.

Il y a des patients parfois difficiles à motiver. Ils viennent, mais préfereraient être ailleurs. On leur a dit qu'il fallait venir, que c'est important, tout ça... Mais bon, au fond d'eux, ils n'y croient pas trop.
Ou ils y croient trop : l'orthophoniste, petite fée, d'une formule magique va régler tous leurs problèmes. Il n'y a qu'à être là, et ça va aller tout seul.
A ceux là, je raconte une histoire... Une petite histoire toute simple. L'histoire du petit bateau et des rames.


Alors voilà... Apprendre à parler, à lire, à écrire (au choix, ou tout à la fois !), c'est comme faire une promenade en bateau. Tu es bien, là, tranquillement installé dans ton petit bateau, il fait beau, l'eau brille sous le soleil, les oiseaux gazouillent, les remous te bercent doucement, sur la berge une biche gambade derrière un papillon multicolore (oui, oui, allons-y carrément !), encore un peu et une bande son tirée tout droit d'un album de Nature et Découvertes va retentir de nulle part. Bref, c'est plutôt cool, la vie, sur ton petit bateau qui suit le fil de l'eau, tranquillou-bilou...
Mais parfois, c'est pas si simple. D'abord, ça caille un peu, y'a du vent et peut-être qu'il va bientôt pleuvoir. Ça fait des remous, ton petit bateau va n'importe où, et en plus, là-bas, y'aurait pas des rochers qui affleurent ? Te voilà bien... Je rêve ou la musique d'ambiance ressemble à s'y méprendre à la BO de Chucky ? Ah ouais, là, ça craint... Va falloir agir.
Ça tombe bien, là, regarde, au fond de ton bateau : y'a des rames !
Cool, avec des rames, on peut diriger le bateau, lui faire éviter les rochers, et même le faire arriver plus vite à destination. Mais les rames, ça ne marche que si on s'en sert. Ben oui, si t'as des rames mais que tu les laisses au fond du petit bateau, ça lui fait une belle jambe, au bateau ! (Maman les p'tits bateaux qui vont sur l'eau ont-ils des jambes ? ... Maintenant, on sait !) Donc, les rames, c'est chouette, mais seulement si tu les utilises, va falloir souquer ferme, moussaillon !
Et bien tu sais quoi ? Toi, t'es le petit marin. Et moi, je suis les rames. Je ne peux pas faire à ta place. Mais je peux t'aider. Si tu veux bien que je t'aide. Mais c'est à toi d'utiliser les aides que je t'apporte. Parce que ça non plus, je peux pas le faire à ta place.
Mais tu vas voir, à nous deux, ce petit bateau, on va l'emmener à bon port. Oh, je te dis pas que le voyage sera toujours super cool. Des fois, tu vas ramer. Et moi, je vais me mouiller tu sais. Mais au final, on va faire un beau voyage, toi et moi, et quand on aura amené le bateau à destination, tu pourras vraiment être fier de toi. Parce que sans les rames, c'est plus dur. Mais sans marin, c'est carrément impossible.
On y va ? 



Alors on peut aussi prendre un air super sérieux, poser les coudes sur la table et joindre les bouts des doigts derrière un regard pénétrant, et dire un truc du genre :
"Nous allons construire votre projet thérapeutique ensemble, je suis là pour vous aider à mener ce projet à son aboutissement, mais sans votre investissement et votre participation active ce travail est voué à l'échec".
Ça veut dire la même chose, mais en pas pareil.
Et puis moi, j'aime vraiment bien les histoires...






Les images de cette notes sont tirées de ce livre là   ->
Petite merveille que je lis encore trèèèèès souvent aux monstroplantes au moment de l'histoire du soir...

"Le petit bateau de petit ours" de Eve Bunting et Nancy Carpenter, éditions Pastel, École des loisirs.






Et puisqu'on parle bouquinage et livre adoré, faut que je te raconte !
La semaine dernière, au 26ème congrès scientifique international de la Fédération Nationale des Orthophonistes (ouais, ça pète, hein ?!), Martin Winckler est venu parler aux orthophonistes du rapport entre soignant et soigné. Une rencontre plus qu'une conférence, des réflexions justes et des brèves de vie qui donnent à penser, avec juste ce qu'il faut d'émotion et de rire... à l'image de ses livres en quelque sorte (Que si tu les a pas lu, fais le ! Tu me remercieras plus tard !).


De Martin Winckler, j'ai lu tout ce que j'ai trouvé : les romans, les essais, les nouvelles, les articles. Je suis une fan inconditionnelle. Carrément. Et la semaine denrière, je... Je... Je lui ai parlé ! HIIIIII !!!
Quand il a eu fini de nous expliquer sa vision des grains de sable qui font de la résistance dans les rouages bien huilés des organisations officiellement thérapeutiques et officieusement de pouvoir, le micro s'est promené dans la salle, pour permettre aux zauditeurs zébahis de causer avec ze grain de sable suprême. Sache que j'ai réussi à choper le micro sans trépigner trop sur mon siège, et que j'ai réussi à parler sans baver et en retenant le "je vous aime !" qui ne demandait qu'à s’échapper de mes lèvres. J'ai même posé une question réfléchie (qui a donné lieu à une réponse-prescription pour le moins étrange mais néanmoins censée !) avant que le masque ne tombe et que la fan-girl qui sommeillait en moi - pas très profondément il faut l'avouer - ne prenne la place. Misère. Rien qu'à y repenser, je sens le rouge me monter aux joues. Le ridicule ne tuant pas, je suis encore là aujourd’hui pour te dire que, au moins, et tralalou, j'ai une dédicace de Martin Winckler sur mon livre préféré : "le chœur des femmes" (je t'en avais déjà parlé , tu te rappelles ?).
Voilà. Je suis joie et allégresse.
Et c'est pas tout.




Je suis connexion cosmique avec mon écrivain favori (à égalité avec Terry Pratchet et John Irving, oui, c'est hétéroclite mais c'est chouette). Ouep. Carrément.
Parce que la semaine dernière, Martin Winckler nous a parlé du rapport soignant-soigné, et il a comparé la position de soigné à celle d'un marin dans son bateau, et celle du soignant au pilote du bateau. Si. J'te jure c'est vrai. Tout pareil que moi, ou presque. La même chose en pas pareil, encore une fois. Han ! J'en croyais pas mes zoreilles !




Tu sais quoi ? Je sens que cette histoire de rames, je vais encore la raconter. Beaucoup. Souvent. Et à chaque fois maintenant, je me dirai que oui, moi aussi je suis un grain de sable. Comme Martin Winckler.

4 commentaires:

  1. TOUT est juste Séco; merci. Il m'est arrivé une drôle d'histoire en rentrant de Nantes, un truc que j 'ai commencé à écrire ce matin. Une histoire de bateau et de rames.
    Ne change rien Séco, tu es la bonne personne ,à la bonne place, au bon moment

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    1. J'ai hâte de la lire, cette drôle d'histoires à rames, ZeC... C'est tellement chouette que les tentacules repoussent au fond de ton aquarium !

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  2. Bonjour Sécotine. Je viens de découvrir votre blog grâce à une collègue. Je n'ai pas encore lu tous les posts mais je les dévore. Je suis moi-même une "jeune" ortho et je me retrouve parfois dans vos posts, parfois j'espère ne jamais m'y retrouver tant certains m'ont touchée. Je vous remercie pour tous ces partages et je vais même me permettre de vous "chiper" cette analogie de la barque et des rames que je trouve très parlante. Moi aussi j'aime les histoires, surtout lorsqu'elles sont inspirantes comme les vôtres.

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    1. Oh wah, je suis touchée, merci pour ce très gentil message. Orthophoniste, c'est un beau métier. Je te souhaite de t'y épanouir et de faire le mieux possible avec tous tes patients !
      (par contre, t'arrêtes de me vouvoyer s'te please, je me sens vieille après, bouh !)

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