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mardi 30 janvier 2018

Pourquoi je ne travaille plus en EHPAD.

Aujourd'hui, le personnel des EHPAD est en grève. Ils sont usés, cassés, déprimés. Ils voudraient faire bien, mais n'en ont pas les moyens.
Aujourd'hui, je voulais écrire une note légère et rigolote, sur ces jolis moments que nous offrent notre métier. Mais l'actualité m'a rattrapée.
Aujourd'hui, je repense à ce statut écrit il y a bientôt 2 ans sur mon mur facebook, le récit de cette matinée en EHPAD où la goutte d'eau a fait déborder le vase...
Aujourd'hui, je ne travaille plus en EHPAD. Mais je repense à ces professionnelles croisées ce matin là, et que je n'ai pas su comprendre, ne pensant qu'à mes patients, sans voir que, pour le bien être de mes patients, il fallait aussi penser au bien être des soignants... 



Février 2016 :
A l'EHPAD ce matin, dans le couloir je croise 5 personnes, je lance 5 fois "bonjour", on ne m'a répondu que 2 fois : une fois le vieux monsieur avec un grand sourire, une fois avec les yeux seulement et un signe de tête, par une vieille dame qui parait-il, n'a plus toute sa tête. Les 3 autres personnes, membres du personnel, n'ont pas daigné me répondre. Soit.
J'arrive dans la chambre de ma patiente, qui me raconte que ce matin, la personne qui lui a donné à manger lui a fait mal parce qu'elle allait trop vite, et que quand elle le lui a dit, elle s'est faite gronder comme une petite fille : "Y'a des mauvaises gens, vous savez...".
Là dessus j'accompagne une autre de mes patiente dans "le petit salon" où nous travaillons au calme, à dénommer les objets du quotidien et à chercher dans quelle pièce ils se trouvent. Alors que je répète "fauteuil" pour la troisième fois, j'entends une aide-soignante, en train de faire un lit dans une chambre à côté, m'imiter en exagérant ma prosodie, et singer les effort de ma patiente qui n'arrive pas à articuler. Wohpunaise. Je suis allée la voir dans la chambre : "Vous savez, si vous nous entendez travailler, ça veut dire que nous aussi, on vous entend vous moquer." "Ah mais euh... Non mais je ne me moque pas !" "Oh, vous croyez ? Et si moi je dis Aaaah mais euuuuuh, nan mais je me moque pas-euuuh ! comme ça, vous en pensez quoi ?" (et oui, j'ai bien vu sa collègue lever les yeux au ciel dans son coin, normal).
Et enfin, en salle de repas où j'accompagne ma dernière patiente de la matinée, une autre membre du personnel a commencé à se moquer d'une résidente qui voulait rester dans son fauteuil roulant au lieu de s’asseoir sur une chaise. Elle singeait ses mimiques et sa voix aiguë de petite fille perdue en répétant "Pas la chaise ! Pas la chaise !" et en rigolant. Non seulement ma présence ne semblait pas la déranger le moins du monde, mais pire encore, elle m'a lancé un grand sourire, m'invitant à la complicité dans ses moqueries. Wohpunaise-bis, là j'ai craqué.
Je me suis plantée juste devant elle, et avec une voix très calme et un grand sourire (c'est plus efficace que de pousser une gueulante), je lui ai dit tout ce que j'avais sur le cœur.
Je veux bien comprendre la difficulté de ce métier, le planning intenable, le salaire de misère, le manque de vocation qui nous pousse parfois à accepter un emploi parce qu'il faut bien boucler les fins de mois. Mais jamais, JAMAIS je n'accepterai qu'on décharge sa frustration, sa fatigue, sa colère sur des personnes âgées, dépendantes ou non, et ce même si elles sont désagréables et pénibles, non mais sans blague.
L'infirmière est venue, elle nous a demandé ce qui se passait, et m'a demandé de "ne pas déranger les personnes en salle de restauration" (!!!). Pas de problème, hein, je peux plutôt régler ce souci en envoyant un courrier à la direction, si elles préfèrent... Bon, finalement on a terminé cette discussion dans le bureau des infirmières. J'ai obtenu des excuses (ça me fait une belle jambe, c'est à la résidente qu'il faudrait les faire !) et l'assurance que "cela n'arrivera plus".
Regard incendiaire de l'aide soignante en partant.
Personnellement je m'en moque qu'elle ne m'aime pas.
Mais j'espère vraiment que ce ne sont pas "mes p'tits vieux" qui vont trinquer...
Je suis vraiment en colère, et triste, et déçue... Il y a dans cet EHPAD des tas de personnes bienveillantes, douces, marrantes, qui font un travail formidable. Vraiment. Mais il suffit d'une ou deux exception... Ces trois événements en une matinée ont suffit à me pourrir la journée. Alors pour mes p'tits vieux, hein ?
Bon,  il s'est avéré finalement que, pour la dernière aide-soignante, plusieurs plaintes avaient déjà été formulées. Elle avait été envoyée de service en service, parce que c'est toujours plus facile de déplacer le problème et de le cacher sous le tapis que de le régler... A l'issu de cette histoire, le directeur a pris la décision de l'intégrer au service buanderie, sans contact avec les résidents. Je crois qu'elle m'en veut. Je m'en moque.

Deux semaines après, l'aide-soignante qui m'avait singée et c'était moqué des efforts de ma patiente en pensant que je ne l'entendais est venue me voir. Elle m'a dit qu'elle était désolée, qu'elle était fatiguée, qu'elle en avait marre, qu'elle était en fin de service et sur les nerfs, mais qu'elle n'aurait pas du.
Et je crois que cette dernière phrase résume à elle seule tout le malaise de la situation.
Elle m'a dit aussi qu'elle avait essayé de passer plus de temps à discuter avec cette femme, ma patiente, mais que c'était difficile et que ça prenait du temps, du temps qu'elle n'avait pas.
Et le temps, c'est de l'argent.
Pas assez d'argent dans ces structures, l'obligation d'aller à l'essentiel, un essentiel qui devient un minimum...
Le nombre de fois où je suis arrivée dans la chambre d'un de mes patients, pas encore levé à 11h. Le nombre de fois où le plateau du petit-déjeuner est débarrassé au moment où on vient les chercher pour le repas du midi. La fois, la seule et unique, mais la fois de trop, où j'ai retrouvé une de mes patientes en larmes dans son fauteuil souillé, parce qu'elle avait appelé pour qu'on l'amène aux toilettes, mais que personne n'avait eu le temps de venir à temps.
Tous ces petits épisodes qui construisent le mal-être, tous ces évènements qui façonnent le malaise, de chaque côté. Patients et soignants, tous unis dans la dèche. 


De mon côté, je ne voyais que la gêne de mes patients et que mes difficultés à exercer dans ce cadre là. J'ai ouvert les yeux, et compris qu'il n'y avait ni méchant ni gentil, ou plutôt si, un gros vilain méchant système pourri face à ces milliers de tout petits que nous sommes, patients-soignants-parents.
Alors je pense très fort à David et Goliath.
Faut y croire, mais plus que tout, il faut agir. Parler. Expliquer. Manifester. Râler. Et faire de son mieux, toujours.

Pour moi, le mieux, ça a été d'arrêter d'aller travailler en EHPAD. Ça peut paraître lâche, mais je ne voulais plus cautionner ce système-là. Ce dont mes patients avaient surtout besoin, c'était de présence et d'attention. Est-ce là le rôle de l'orthophoniste ? Est-ce aux professionnels extérieurs de suppléer aux carences du système ? Je ne le pense pas. Je suis même convaincue que, tant qu'on se débrouillera pour faire tenir les choses coûte que coûte, personne n'entendra l'appel au secours. Encore une fois, je cite cette phrase d'une amie orthophoniste :
"Le système de santé ne tient plus que sur l'éthique des cliniciens de terrain, les politiques le savent, et ils en jouent."Alors aujourd'hui, je suis de tout cœur, vraiment, avec tous ces soignants, infirmières, aide-soignant.e.s, agents de service... Tous ceux qui, chaque jour, font de leur mieux, même si le mieux ne suffit pas. Tous ceux qui, souvent, finissent leurs journées de travail fatigué.e.s et déprimé.e.s.
Je pense aussi à tous les résidents de ces EHPAD qui méritent mieux que cela, qui méritent le respect et l'attention que nous ne sommes plus en mesure de leur donner dans ces conditions. C'est pour eux, avant tout, que les professionnels se battent aujourd'hui. Et ça, il ne faut pas l'oublier. Ces soignants restent des soignants jusqu'au bout : il n'y a que quand il n'en peuvent plus et qu'ils s’aperçoivent que les autres en pâtissent qu'ils se décident à agir. Pas pour eux. Pour nos parents, grand-parents, arrière-grand-parents. Pour aujourd'hui, et pour demain. 

1 commentaire:

  1. Quelle tristesse de lire ces témoignages, je suis qu'étudiante et je sais pas si on verra les choses changer un jour dans ce système de santé mais j'espère de tout coeur qu'on aura les moyens de le faire. Ca a déjà duré trop longtemps...

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