Bien bien bien...
La dernière fois, je t'ai bassiné pendant 15 pages avec mon parpaing sur le T.P.I. (Tiers Payant Intégral), mais tiens-toi bien, ça n'est pas fini. Et non, désolée, il va encore falloir te fader quelques petites explications sur le pourquoi du comment : le TPI n'est que l'arbre qui cache la forêt de la Loi Santé. Et des arbres, des arbustes et des mauvaises herbes, y'en a un paquet, crois-moi !
Dans ma précédente note, je n'ai fait que te présenter les difficultés administratives et organisationnelles du TPI pour les praticiens.
Mais gaffe, la Loi Santé a des répercussions bien plus importantes que ça !
Mais gaffe, la Loi Santé a des répercussions bien plus importantes que ça !
Alors, prêt pour la suite ?
IIIIIIRWIGOOOOO !
Le projet de Loi Santé proposé par la ministre de la santé, Marisol Touraine le 15 octobre dernier, s'articule autour de trois éléments principaux :
- la prévention,
- faciliter la santé au quotidien,
- innover pour consolider l'excellence de notre système.
[source : http://www.gouvernement.fr/action/la-loi-de-sante]
Dit comme ça, ça pète. Tout cela est fort beau, et en bon bisounours que je suis, je me dis que, chouette, le PATIENT a été placé là au centre de la réforme, et la SANTÉ en est la priorité absolue, youpi tralalou...
Sauf que.
Bisounours, mais pas trop !
Quand on examine un peu plus les différents points de ces grands projets et la mise en œuvre de la réforme, sans vouloir jouer l'oiseau de mauvais augure qui se fait des films catastrophe, quand même, ça interpelle...
Explications en quelques points, et comme je suis une fille sérieuse, je me suis documentée, si, si, et je cite mes sources : tout ce que tu peux lire ici en bleu et en italique (et par endroit souligné par moi-même) provient du très officiel site du gouvernement relatif à la Loi Santé.
Et si tu veux les explications de texte, toujours très officielles, de ce projet de loi, tu peux lire le dossier de presse du projet de Loi Santé (très efficace pour te déprimer, avec un double effet kiss cool si tu souffres d'insomnie).
Comme tu le vois, je ne me laisse pas (seulement) emporter par mon imagination débordante, non, non, non, je m'appuie sur les propos tenus et diffusés par le ministère de la santé. Le reste n'est que supposition, certes. Mais des suppositions malheureusement très proches, à mon avis à moi que j'ai, de la réalité des choses à venir... Et c'est pas glorieux !
Le tiers payant intégral : sa vie, son œuvre... son avenir !
Bien, la dernière fois je t'ai tout bien expliqué pourquoi le T.P.I. c'est pas cool pour les praticiens, et surtout pourquoi c'est un peu beaucoup facile de nous demander, à NOUS professionnels de santé, un effort qui ne nous rapporte rien d'autre que du travail supplémentaire (et même pas la considération générale). Nos patients pourraient fort bien nous rétorquer que bon, eh, c'est pas si grave, hein, et puis d'abord c'est notre problème, pas le leur. Certes. Posons-nous seulement ces questions :
Les patients sont-ils les seuls à trouver un avantage dans le T.P.I. ?
Sommes-nous naïfs au point de croire que le ministère de la santé et les mutuelles se battent pour imposer un fonctionnement dont seuls les patients seraient bénéficiaires ?
Allons, allons... Les politiciens et les administrateurs ne sont pas des humanistes, contrairement à ce qu'ils essayent de nous faire croire. Derrière toute réforme se cache avant tout et toujours une bête histoire... De pognon. Ben oui. C'est moche, et d'autant plus que l'on parle là de santé (et ça me fait le même effet quand on parle éducation et culture).
Ami bisounours, je suis désolée de te l'apprendre : la santé, c'est une histoire de fric, et ça ne va pas aller en s'arrangeant avec ce qui se trame.
Prêt à déprimer ? Allez, courage !
"La généralisation du tiers payant est la mesure la plus emblématique de la loi. C'est une mesure de justice sociale mais aussi de simplicité et d’efficacité, qui est déjà une réalité à l’hôpital, dans les laboratoires de biologie, chez beaucoup de radiologues en ville et dans les pharmacies. Concrètement, lors d’une visite médicale, les Français n’auront plus à payer avant de se faire rembourser." OK, très bien, dit comme ça c'est trop de bonheur ! Mais maintenant, creusons un peu...Quand les payements des soins se feront directement de la sécu et de la mutuelle vers le praticien, le patient n'aura plus RIEN à gérer, plus RIEN à contrôler. C'est cool pour lui. C'est surtout très cool pour les mutuelles et la sécu, qui ne seront, du coup, plus contrôlées DU TOUT.
De là, c'est assez facile d'imaginer un arrangement entre la sécu et les mutuelles, pour modifier les pourcentages de prises-en-charge des soins : de 60/40 on pourrait passer à 50/50, puis 40/60, etc...
Les mutuelles auraient donc au final la main mise sur le financement des soins.
Et même si "un pouvoir implique de grande responsabilités", je doute que les mutuelles pensent plus aux responsabilités qu'aux profits (d'façon, je doute que M'sieur Caniard, le président de la Mutualité Française, partage l'idéologie made in Spiderman) : je crois surtout que les mutuelles en profiteront pour augmenter leurs cotisations, et se montrer de plus en plus exigeantes sur les modalités de payement et d'accès aux soins !
Tu crois que j'exagère ? C'est possible...
Après tout, dans ce cas, l'état ne PEUT PAS laisser sur le carreau ceux qui n'ont pas de mutuelle. Et il ne PEUT PAS laisser les mutuelles marchander avec les praticiens comme de vulgaires marchands de tapis alors qu'on parle de santé, n'est-ce pas ?
... N'est-ce pas ?
Ahem...
Lisons donc ce qui suit :
"Que prévoit la réforme de la couverture complémentaire santé ? Dans le cadre de la réforme de la couverture complémentaire santé, le Gouvernement franchit une nouvelle étape pour permettre à tous les Français d’accéder à des complémentaires de qualité. Les objectifs visent à améliorer la couverture par les complémentaires des frais de santé des salariés, (...) limiter les dépassements d’honoraires et faire baisser les prix de l’optique." & "Le développement des parcours conduira à une évolution progressive et négociée des modes de rémunération des professionnels de santé".Voilà, voilà. Inspire, expire. Oui, oui, ce que tu viens de lire confirme hélas grandement les suppositions précédentes, et hop, pièce en 5 actes :
1 - on met en place des financements de soins directement par la sécu et les mutuelles, et hop, plus de contrôle par les assurés qui n'ont plus rien à gérer.
2 - on fait en sorte que tous les Français aient une mutuelle, notamment par le biais des mutuelles obligatoires d'entreprise, dont le payement se fait par ponction sur salaire : hop, encore une fois, pas de contrôle direct.
(Et pour ceux qui bossent pas ? Bah, ils ont la CMU, non ? Et ceux qui n'y ont pas le droit ? Emploi précaires, CDD, intérim ? Ah bah ça... Tant pis pour eux, hein, z'avaient qu'à être riche et en bonne santé !)
3 - on modifie petit à petit les pourcentages de prise en charge des frais, donnant de plus en plus de place et de pouvoir aux mutuelles (bah oui ma bonne dame, ça coute moins cher à l'état !), et leur donnant ainsi l'occasion d'augmenter leurs tarifs (mais c'est pas grave, ça se verra pas, et puis d'façon la mutuelle est obligatoire en contrat d'entreprise, donc...).
4 - les mutuelles ayant petit à petit tout pouvoir, elles négocient directement avec les praticiens les tarifs, les modalités de prise en charge et de remboursement, de toute façon les conventionnements avec la sécu n'ont plus lieu d'être puisque les mutuelles deviennent le financeur principal (et oui, "le client est roi", et là, le client, c'est pas le patient : c'est la mutuelle, puisque c'est elle qui paie !). Et hop, on en vient à un fonctionnement comme celui des opticiens qui cachent leurs larmes derrières leurs verres montés sur montures "mutualistes-moins-cher-que-les-autres-parce-que-la-mutuelle-nous-l'impose-mais-on-sera-payé-des-clopinettes-dans-3-mois"...
5 - grande scène finale et Deus-Ex-Machina :
- les riches qui ont un bon boulot et une bonne mutuelle auront un bon accès au soins, sans conditions de prise en charge, mais ils payeront leur mutuelle la peau de l'arrière des genoux (pas grave, z'ont les moyens : on prend les sous où ils sont, non ?),
- les pauvres qui ne peuvent que se payer la mutuelle option low-cost se verront imposer le type de soins, les modalités de prise en charge et les praticiens,
- les praticiens seront obligé de baisser leurs tarifs pour répondre aux injonctions des payeurs, et pour rentrer dans leurs frais*, ils feront du soin "low-cost" eux aussi, avec des temps de consultation réduits (le temps, c'est de l'argent), des économies de bouts de chandelles sur les traitements et les matériels (parce que sinon ils se feront taper sur les doigts par les financeurs : "vous nous coûtez trop cher, on va envoyer nos clients ailleurs !"), ou alors ils feront des dépassements d'honoraires pour continuer à soigner librement, mais ce sera au patient de payer !
> bref, une belle santé bien conforme à ces trois mots qui ornent les frontons de nos mairies (tu la sens l'ironie, là ?). Quant à l'état, il sera content : il va économiser des sous ! Ce sont les mutuelles qui payeront. Et les mutuelles ? Pour elles c'est champagne :"I've got the power !" pourront entonner tous les Etienne Caniard de notre belle patrie ! Le pognon, le pognon, le pognon...
*oui parce que je te rappelle qu'il ne faut pas confondre honoraire et salaire...
Pauvre et malade OU riche et en bonne santé : l'un ou l'autre, mais pas les deux. Santé de qualité OU santé bien payée : l'une ou l'autre, mais pas les deux ! |
La liberté d'installation et l’assujettissement des professionnels à l'ARS : clap, première !
Actuellement, il y a des incitations à l'installation dans les zones sous-dotées pour les orthophonistes, ce ne sont pas des interdictions d’installation en zone sur-dotées. Ca, c'est plutôt cool, et ça répond non seulement aux besoins des patients mais aussi à la liberté d'installation des professionnels. Inciter, c'est toujours mieux qu'interdire ! Hélas, trois fois hélas (et même quatre fois, tiens, au point ou on en est !)...
... ça n'est pas le cas pour toutes les professions : certains praticiens n'ont pas l'autorisation de s'installer où ils le souhaitent, d'autres se retrouvent quasi-obligés d'exercer à tel endroit où l'état estime qu'on a besoin d'eux.
... ce ne serait pas forcément un grand souci si seulement le découpage en zones sur/sous/normalement dotées n'était pas si pourri (appelons un chat un felis silvestris catus !). Un exemple ? Il y a encore peu de temps de cela, j'exerçais dans une zone dite "normalement dotée" où les délais d'attente pour un bilan n'étaient "que" de 6 à 10 mois... Génial ! Faut pas avoir une urgence, dis donc ! Pis c'est pas comme si les urgences médicales étaient particulièrement importantes, quoi.
Tu vas me dire que, vu les résultats de ce genre de fonctionnement, l'état ne vas pas en rajouter une couche, n'est-ce pas ?
... N'est-ce pas ?
Ahem...
Lisons donc ce qui suit :
"Le service territorial de santé au public rendra plus accessible et plus lisible l'organisation de notre système de santé dans les territoires. Ce service facilitera la structuration territoriale de l’offre de santé et concernera au moins cinq domaines : les soins de proximité, la permanence des soins, la prévention, la santé mentale et l’accès aux soins des personnes handicapées. Concrètement, les acteurs locaux de santé volontaires s’engageront par un contrat pour organiser l’offre et agir localement au plus près des besoins des Français. Pour soutenir cette démarche, le rôle des agences régionales de santé (ARS) sera renforcé. "Voilà.
Tu es médecin, et tu veux t'installer là ? Bah non, t'as pas le droit. C'est l'état qui décide, pas toi.
Tu es orthophoniste et tu veux exercer ici ? Ben tu fais ta vie, mais t'auras aucune aide, rien, nada. C'est l'état qui décide, pas toi.
Le secret médical : le début de la fin !
Le secret médical, c'est un peu (beaucoup !) ce qui fait que le patient n'a pas peur de dire ce qui le tracasse, ce qui le gêne, ce qui lui fait mal à son praticien. S'il partage avec nous ses maux, ça n'est pas par souci de raconter à la face du monde son intimité, tel un ado ou un people en pleine crise d'égo inondant son twitter d'informations aussi capitales que "je mange un yaourt à la fraise (via instagram)". Non, s'il se raconte à nous, de l'ongle incarné à l'angoisse agrypnotique (> oui, toi aussi, cultive-toi en lisant des blogs !), c'est parce qu'il nous fait confiance. Et s'il nous fait confiance, c'est parce qu'il sait que nous sommes soumis au secret médical, et que ce qu'il nous racontera ne sortira pas du cadre médical.
Aucune loi ne saurait remettre en cause cet élément fondateur du soin et de sa qualité, n'est-ce pas ?
... N'est-ce pas ?
Ahem...
Lisons donc ce qui suit :
"Pour qu’à chaque étape de la prise en charge, les professionnels et les patients (notamment ceux atteints de pathologies chroniques) aient accès à l’ensemble de l’information médicale, ce projet de loi relance le dossier médical partagé. Ce DMP sera librement accessible par le patient, à tout moment."Là, tu vas me dire que ça, c'est bien. Une meilleure circulation de l'information entre praticiens soumis au même secret médical, c'est l'assurance d'une meilleure communication, et donc d'une meilleure cohérence thérapeutique (oh ben dis donc, t'en dis des choses intelligentes, toi !). Et tu as raison (tu vois, je te l'avais dit...). Sauf que. Dans le projet de Loi Santé, ce en sont pas seulement les praticiens de santé qui auront accès au DMP. Le patient y aura accès, et ça, c'est normal, et très bien. Ce qui l'est moins, c'est que dès lors que cela sera justifié (et les justificatifs restent à définir, brrrr...), pourront accéder au dossier « des organismes assurant une représentation des malades et usagers du système de santé, des producteurs de données de santé et des utilisateurs publics et privés de données de santé, y compris des organismes de recherche en santé ».En gros, donc, auront accès à certaines données du DMP non seulement les praticiens et le patient concerné, mais aussi toute organisation ayant un rapport de près ou de loin avec les soins, que ce soit sur le plan thérapeutique ou autre : financier, tiens, par exemple ! Et zou, grande journée portes ouvertes dans le DMP pour les mutuelles, les labos pharmaceutiques, bref, toutes ces organisations qui ont placé l'altruisme et l'humanisme au centre de chacun de leurs actes ! (oui, tu l'auras compris, je suis encore une fois ironique. Tu es décidément très fort. Je suis contente de t'avoir comme lecteur, tu sais ?)
Et avec ça ? Ce sera tout ?
("Y'en a un peu plus, je vous l'mets ?")
Ben avec tout ça, je ne sais pas toi, mais moi, je déprime.
Et comme déprimer c'est chronophage et contre-productif, à la place, j'agis : information, discussion contestation !
Et participation.
Celui-là, il est pour toi. Parce que, que tu sois praticien de santé ou patient, tu es concerné par ce projet de loi. Et si tu es concerné, fais-le savoir !
Médecin, orthophoniste, kinésithérapeute, podologue, psychomotricien, orthoptiste, IDE... : participe aux actions de protestation, fais entendre ta voix !
Patient = assuré = mutualiste : soutiens tes praticiens ! Ils ne se battent pas pour eux : ils se battent pour la santé (leur métier), ils se battent pour ta santé (leur quotidien).
Voilà. J'ai fini. Promis, je ne vais plus t'obliger à lire mes
parpaings. J'ai dit tout ce que j'avais à dire à ce sujet, expliqué tout
ce qu'il y avait à comprendre (j'espère !).
Le reste t'appartient !
Sur ce, comme je ne te l'ai pas encore souhaité : bonne année, et bonne santé, surtout, hein ! ;)
Et des bises, tiens, c'est toujours ça de pris.
Le reste t'appartient !
Sur ce, comme je ne te l'ai pas encore souhaité : bonne année, et bonne santé, surtout, hein ! ;)
Et des bises, tiens, c'est toujours ça de pris.
+ Bonus parce que tu as tout lu (si c'est pas le cas, tu regarde pas ! Retourne là haut ! Zou !) :
(qu'est-ce qu'on rigole avec les générateurs ! ^^)
Alors là, je n'ai pas assez de mes deux mains pour applaudir! C'est finement observé, joliment raconté et amusant à la fois.
RépondreSupprimerPas très rassurant mais encourageant.
En somme un excellent écrit qui sera imprimé et affiché en salle d'attente dès... tout de suite en fait!
Maud Ortho #UpNoNego
toutes ces actions ne sont que des pirouettes afin de justifier in fine le désengagement de l'etat du systhéme social
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