lundi 23 novembre 2015

Alexandrie, AAAAAAAAH ! Alexandra, TOUGOUDOUDOU !


#LundiTitreMoisi
#ClaudeFrançoisIsNotDead
#CapitaineHadockPowa


Alors voilà.
Dans la chambre 213, il y a Claude-Claudie-Claudette qui m'attend. Je viens la voir tous les mardis, trois quarts d'heure à la pêche aux mots. Nous en sommes arrivées au stade des gros poissons, version phrases bien tournées et vocabulaire choisi, mais c'était pas gagné. La première fois que je l'ai rencontrée, elle rentrait du centre de rééducation fonctionnelle après un passage-pas-sage par la case hôpital : un méchant AVC lui avait volé la moitié de son corps et de sa tête. Elle était revenue, à l'EHPAD en fauteuil roulant avec un demi sourire et 3 mots : "merde", "chier" et "hmpf". C'est pratique, le "hmpf" : quand on le colle juste avant le "chier" ça peut vouloir dire "ça m'fait chier", "il fait chier" ou "elle m'fait chier", chacun peut y entendre ce qui ne lui fait pas plaisir.
Ça tranche quand même beaucoup avec les yeux doux de Claudette, et son air de petite fille perdue dans son grand fauteuil, alors ça va, on ne lui en veut quand même pas trop quand elle laisse s'échapper un gros mot involontaire...




En plus, Claudette, elle est rigolote : son prénom, c'est pas tout à fait Claudette, mais elle insiste pour qu'on l'appelle comme ça, comme quand elle était petite. Quand elle m'a dit ça, j'ai pas pu m'en empêcher : "Claudette, comme les danseuses de Claude François ?" (moi aussi, des fois, j'ai des mots bizarres qui sortent tous seuls de ma bouche, Claudette, on est deux !)
Ça l'a fait rire, et elle a commencé à fredonner "Alexandrie, Alexandra" en faisant avancer et reculer son fauteuil roulant. Vision merveilleuse et loufoque de Mamie-Claudette, 78 ans, 52 kilos, en short à paillettes faisant virevolter son fauteuil sur la piste... Youhouuuuuu !

Alleeeeeeez ! La chenille ! La chenille ! 
Bref, Claudette inspire la sympathie, avec ses faux airs de Mamie-Nova qui se marre derrière son pot de yaourt. C'est bien simple, si un jour l'envie prenait à quelqu'un de lui faire une réprimande pour une broutille, il suffirait qu'elle le regarde avec ses grands yeux à la Chat-Potté et son sourire en coin pour qu'en face il n'y ait plus qu'à hésiter entre le fou-rire ou le regard attendri...

Et moi dans tout ça ? Bah, je fais mon job. Mais y'a quand même des patients avec lesquels c'est plus agréable que d'autres... Je te laisse deviner dans quelle catégorie entre Claudette (option poids léger) ? Je suis venue la voir 3 fois par semaine au début, pour enlever les gros mots, puis 2 fois pour en faire venir d'autres, et une fois, enfin, pour entretenir et continuer à avancer doucement. Et pour être prête à revenir plus, au cas où... Parce que Claude-Claudie-Claudette fait des rechutes. Ça arrive. Parfois, c'est juste un gros coup de fatigue, et ça passe. Parfois, c'est un autre AVC, ou un AIT (les saletés ne sont pas avares en acronymes démoralisants), et ça passe nettement moins bien. Alors il faut rester attentif. Et quand Claudette se remet à injurier tout le monde, j'accours ventre à terre !

La semaine dernière, alors que j'étais encore une fois perdue dans les couloirs de l'EHPAD (J'ai du mal, j'ai du mal... Tu m'étonnes qu'ils sont désorientés mes p'tits vieux là dedans ! Faut se calmer sur les délires d'architecte et rester dans le fonctionnel, mes cocos !), une aide-soignante est venue à ma rencontre, l'air paniqué : "Ah vous tombez bien, je sais pas quoi faire, Madame Claudette se remet à répéter "merde" et "chier" en boucle dès que j'entre dans sa chambre ! Vous croyez que c'est encore un AIT ? J'appelle son médecin ?" Ouh la, mince de zut de flûte. Ça faisait un moment que ça n'était plus arrivé. Je croise les doigts en ne me plantant que 2 fois de couloir, et je déboule dans sa chambre. Devant ma tête inquiète-pirouette-cacahouète, Claudette me demande : "Oh, bonjour Séco, ça va pas ?"
"Euh... Si, si, bonjour Claudette, moi ça va ! Et vous ?"
"Ça va, ça va, comme ça, oui, là, pourquoi ?" (Oui, bon, on a bien bossé mais y'a encore des petites anicroches... J'ai pas ma cape tous les jours non plus)
"C'est Machinchouette, l'aide soignante, qui m'a dit que vous... Enfin... Qu'elle avait à nouveau entendu vos gros mots préférés, alors..."
Et là, Claudette m'a regardé avec ses grands yeux rieurs, et elle m'a dit dans un grand sourire :
"Oh, elle ? Non, non, ça va, ça va... C'est juste que je l'aime pas, celle là !"

Interlude musical : "J'lui dis des gros mots, tougoudoudou ! Parce que je l'aime pas, BA-RA-CU-DA !"
Voilà, voilà...
Claude-Claudie-Claudette a redécouvert ce truc génial qu'on maîtrise tip-top à 3 ans : le "cépamafot'" doublé de l'air mignon-désolé-choubidou-wah.
Et tu sais quoi ?
Ça marche très bien à 78 ans aussi !

2 commentaires:

  1. Je pratique aussi le cépamafot... souvent ! merci d'avoir partagé ce petit morceau de vie désopilant
    Bises, Flo

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  2. Great post, thanks for sharing it

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Commentaires, remarques, critiques : lach T comz.