vendredi 8 octobre 2021

Ecriture - il y a 11 ans : "5 sens"

Les souvenirs Facebook ont ramené sous mes yeux ce "vieux" teste écrit il y a 11 ans, que j'ai redécouvert et dont je suis, avec le recul, assez fière.
Et comme cela fait looooooongtemps que je n'ai plus rien publié (non pas que je ne fasse rien, mais je ne trouve prends pas le temps de publier ici), hop, copier/coller rapide et zou ! 


Ex-Libar n° 31 - mon texte

Thème imposé : "Cinq sens"

  • Un des personnages principaux de votre récit perd un des sens suivant : le toucher, le goût et l'odorat, l'ouïe, ou la vue.
  • Il s'agit d'une perte, le personnage doit donc avoir bénéficié de ce sens à un moment donné auparavant.
  • Le texte doit avoir un titre.
  • Le texte doit faire entre 500 et 2000 mots. 

De haine et d'eau fraîche

Les pieds dans l'eau. Les cheveux au vent. Le ressac de la mer me berce doucement. Je sens la chaleur de ce soleil de fin d'été, j'entends le cri des mouettes plus loin, je me laisse aller.

Solène me voit-elle ? Elle ne doit pas être bien loin... Solène. Ma jeune et charmante épouse. Ma Solène. Ses talons qui claquent sur le parquet de notre bel appartement parisien. Son rire haut et clair, qui m'est destiné. Ses bracelets qui s'entrechoquent au bout de ses longs bras toujours en mouvement. Sa voix si douce quand elle chantonne en préparant les repas. Et les battements de son cœur, sous ma tête, la nuit. Un oreiller d'amour... Solène. Ma Solène.

Mes pensées divaguent. Je fais un bond dans le passé. Jusqu'à François, notre dernière rencontre, il y a si longtemps déjà. Il ne l'a jamais aimée, ma Solène. Une belle-mère plus jeune que lui, il n'a pas supporté. Avec quelle hargne il l'a rejetée ! Quelle violence ! Il ne l'a vue qu'une seule fois. Assez pour la jauger, la juger, la condamner. Que fait-il aujourd'hui, où est-il, mon fils qui craignait tant pour son héritage qu'il lui a finalement tourné le dos? "Elle aura tout ! Elle te prendra tout et toi tu ne vois rien !". Je ne vois rien. Je n'ai rien vu venir.

Petit à petit, les couleurs qui se ressemblent toutes, les lumières qui faiblissent, les contours qui se troublent... Le noir, au bout du compte. Et avec lui, le silence... Les choses changent.

Solène marche pieds nus. Je ne l'entends plus. Plus de chansons, plus de bracelets. Envolés, les rires joyeux. Elle ne marche plus, elle se déplace. Silencieuse comme un chat. Toujours féline, finalement... Solène, ma Solène. Salope.

Des petits riens, vraiment. Des variations infimes, amenées en douceur. J'ai mis du temps à m'en apercevoir. C'est elle qui a installé cette chape de silence, progressivement, à mesure que ma vue déclinait. Elle qui, petit à petit, a changé mes repères. Déplacé une chaise. Poussé le guéridon. Posé ma canne un peu plus loin... Et tout cela en silence , toujours. Le silence, troublé par le fracas d'un meuble que je renverse, d'un cadre qui tombe et se brise, de mes glapissements de douleur et de colère. Et là, presque instantanément, sa voix toute proche... Je sursaute. Elle me surprend à chaque fois. "Tu t'es fait mal mon cœur ?" Douce, avenante, calme, tandis que je fulmine et me mets à rugir. Solène la martyre. Pauvre Solène. Ma Solène. Salope !

Oh comme elle le joue bien, son rôle de femme aimante, et comme elle sait bien me rendre encore plus ignoble. Le vieux tigre usé et irascible, et la jeune biche douce et dévouée. Et plus elle est serviable, plus je m'emporte. Elle est forte. Elle le fait exprès. Salope ! Ah, il est loin, le temps des soirées mondaines où je l'exhibais à mon bras, de théâtres en restos chics. Elle nous mettait en valeur, mon arrogance, ma réussite et moi ! A son tour de m'utiliser. C'est moi qui m'accroche à son bras aujourd'hui, pour ne pas me perdre. Je mets si bien en exergue son dévouement, sa patience et sa jeunesse...

Elle a bien réussi son coup. Personne ne la soupçonne. C'est moi qui ai le mauvais rôle. Elle a fait tant et si bien, de manipulations en déstabilisations, qu'il m'est arrivé de douter moi-même de son machiavélisme. Si douce et aimante. Ma jeune et charmante épouse. Et moi, moi, le vieil acariâtre, aveugle et dépressif...

Elle a gagné. Inutile de se battre. Il est trop tard.

Je laisse couler. Mon amertume, mon angoisse et mes larmes, gouttes d'eau salée qui partent de mes yeux vides rejoindre leurs sœurs à mes pieds. A mes chevilles. A mes genoux. Et l'Océan partout...

Les grandes marées prennent possession de l'espace en silence, comme Solène a pris possession de ma vie. Tout est submergé. Tout sombre. Le bruit des vagues, partout autour de moi. Aucun repère pour retrouver la terre.

Elle a fait ça bien, me laissant sur cette plage isolée, à l'heure de la marée montante. Elle était là, et l'instant d'après... Tandis que l'eau galopait vers moi, elle s'est éloignée, en silence, toujours. Je ne me suis rendu compte de son absence que lorsque l'eau a léché mes souliers.

J'ai appelé. J'ai marché. J'ai crié. L'eau a continué de monter, monter.

Me voit-elle me battre contre l'océan ? S'est-elle installée à l'abri pour contempler sa victoire ?

Solène, ma Solène... Salope !

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