vendredi 21 décembre 2012

T'es orthophoniste ? Non, coach en orthographe...

Je déprime.
A l'heure où les orthophonistes se battent pour la reconnaissance de leur formation et de leur champ de compétences, il y a encore des marioles pour jeter le discrédit sur notre profession et sur notre travail.
Oui parce que bon, les orthophonistes, elles (premier point : ceux qui nous critiquent disent souvent "elles" pour parler des orthos, analyse ça comme tu veux...) n'y connaissent rien en troubles de l'orthographe. Leurs quatre années d'études ? Leur mémoire de recherche ? Peanuts. Tout juste bonnes à prendre les sous des patients et à profiter du système de sécurité sociale, tiens. Bouh, c'est moche.
Mais heureusement, il y a... Les coachs en orthographe.
Parce que les coachs en orthographe, EUX, savent vraiment de quoi ils parlent. Ils ont fait des recherches. Ils se sont documentés. Et même, parfois, ils sont eux-même passé par la case "j'ai un problème", et chacun sait qu'il n'y a personne plus au courant d'un trouble que celui qui en souffre. Même que c'est pour ça, sans doute, qu'ils n'ont pas besoin d'aide ? Hm, je m'égare...
Les coachs en orthographe, EUX, ils ne font pas ça pour le fric, hein, ils font ça par pur altruisme. Et si leurs méthodes coûtent un rein de demi, c'est juste pour rentrer dans leur frais, bien sûr. EUX n'en tirent presque pas de bénéfice. Ahem.
Les coachs en orthographe, ils sont formidables, quoi... Heureusement qu'ils sont là pour rattraper les dégâts causés par l'éducation nationale et que les orthophonistes ne savent pas prendre en charge correctement.
Rhaaaaa...


Pour moi un coach c'est plutôt ça, alors j'ai du mal à saisir...
"Alleeeeeeez, encore un effort ! Et B et A et ça fait BA, et B et A et ça fait BA !"
Non ?!
 
J'ai déjà parlé ici d'une merveilleuse méthode pour vaincre la dyslexie sans orthophoniste.
Ben y'en a d'autres. Plein. Elles fleurissent, même. Style monstroplantes dans le vaisseau de Joyce, conquérant de la lumière (si tu ne vois pas à quoi je fais référence, c'est que tu as plus de 35 ans et moins de 25, démasqué, ah ah ah !).
Celle dont on entend beaucoup parler en ce moment, c'est la méthode de Anne-Marie GAIGNARD. Elle a écrit un livre formidable : "La revanche des nuls en orthographe", et propose une méthode qui permet de régler tous les problèmes d'orthographe (si, si !) en deux temps trois mouvements, le 3ème mouvement incluant la signature en bas d'un gros chèque.
Mais que je suis mauvaise langue me diras-tu !
Ce à quoi je réponds : carrément.
Tout à fait parti-pris, ce billet. Je défends ma profession, si, si. Y'aura pas grand monde pour le faire à notre place, pas vrai ?
Ceci dit il suffit d'analyser un peu le discours de la dame pour comprendre où le bas blesse.
Et là, je tire mon chapeau bien bas à Marie-Pierre Thibault, orthophoniste et docteur en linguistique, qui a su rester calme et démontrer (démonter ?) point par point que les arguments de Mme Gaignard ne reposent pas sur grand chose...

"L'orthographe -13 Décembre 2012" (RCF)

Y a-t-il une fatalité orthographique ? Pour certains, chaque mot est une succession de questions... Etre mauvais en orthographe peut être vécu comme une véritable souffrance, voire un handicap. Stéphanie Gallet et ses invités recueillent vos témoignages.
L'émission est là : http://podcast.rcf.fr/emission/142408/438841
Profitez-en, on peut la réécouter encore un moment.


Bon, alors, je lui reproche quoi, à la méthode de Mme Gaignard ?
Pas grand chose, en fait, elle me semble même plutôt pas mal, pour le peu que j'en ai vu.
Non, ça n'est pas la méthode, mon souci, à vrai dire.


Entendons-nous bien encore une fois : s'il existait un méthode capable de régler tous les soucis de lecture et d'écriture, je suis convaincue que 1 - on l'aurait trouvée (ortho, instit, coach, qu'importe !) et que 2 - on l'aurait diffusée. Et que forcément, il y aurait consensus.
Le hic, quand on parle de troubles spécifiques du langage écrit (l'appellation "officielle" de la dyslexie - dysorthographie), c'est que justement, ce sont des troubles... Spécifiques ! Et que donc, il faut adapter, moduler, personnaliser les moyens, les méthodes, les mises en œuvre des aides apportées pour remédier à ces troubles.



Baguette de Harry, baguette d'Hermione, baguette de Ron...
Et la baguette de l'orthophoniste, elle est où ? Et celle du coach ?
Ah ben non, y'en a pas, c'est bien ce qui me semblait...

Alors il est où le problème ?
Pour moi, il réside dans la présentation qu'en fait Mme Gaignard, et sur les arguments qu'elle avance.
Je fais la liste ? OK, c'est parti !
  • Pour Mme Gaignard, la dysorthographie n'est pas le résultat d'un fonctionnement cognitif spécial, c'est la conséquence d'une mauvaise méthode d'apprentissage de la lecture (vlan dans les dents les instits, y'a pas de raison qu'il n'y en ait que pour nos pommes).
  • Du coup, les orthophonistes sont peut-être utiles pour les dyslexiques (merci bien !), mais pas pour les dysorthographiques "purs" (les impurs, peut-être, ch'ais pas...). Non, pour eux, y'a la méthode de Mme Gaignard...
  • ... la dite méthode est en fait un condensé de nombreuses autres méthodes que les orthophonistes connaissent bien (de la gestion mentale, de la lecture flash...). C'est un peu gonflé de prétendre avoir inventé toute seule comme une grande cette méthode, du coup.
  • Les orthophonistes ne prennent pas en charge les adolescents (ni même les adultes, n'en parlons pas !), alors heureusement qu'elle est là ! [Je jette un oeil à mon agenda : 5 ados cette semaine... Et ma copine Christel, elle donne des cours en institut d'orthophonie sur la prise en charge des adolescents, m'enfin moi j'dis ça...]
  • Un souci majeur : Mme Gaignard confond allègrement retard et trouble. C'est terrible. Parce qu'un retard se rattrape, mais un trouble se compense : il est constitutif du fonctionnement de la personne, il faut donc mettre en place des moyens de remédiation, personnalisés et adapté au fonctionnement cognitif constaté... Du coup, si on propose une méthode prévue pour les retards à quelqu'un qui présente un trouble (ou inversement), y'a comme un problème.
  • Autre confusion de taille : celle que Mme Gaignard fait entre lecture et orthographe. Au cours de l'émission, elle utilise l'un comme l'autre, et malgré les recadrages de Mme Thibault, elle en reste à l'amalgame. Ce ne serait pas si grave si justement cette coach ne se targuait pas de "soigner" les dysorthographies "pures"...
  • Bon, en même temps, Mme Gaignard semble avoir quelques problèmes avec le sens des mots : je rigole (jaune) quand elle reprend Mme Thibault qui indique qu'il existe des hypothèses génétiques pour la dyslexie. Mme Gaignard ajoute alors, visiblement sûre de voir là une justification de sa méthode, que ça n'est pas prouvé. Ben oui, c'est un peu le principe des hypothèses... Bref.
Au final, cette émission était une occasion de plus pour Mme Gaignard de faire la promotion de sa méthode. C'est qu'avec 70 "formateurs homologués", elle peut en prendre en charge, du monde !
A part ça, Mme Gaignard a été reçue au ministère, elle
(Tu la sens, mon aigreur, là ? Je suis courroux et consternation). C'est vrai que pour parler des troubles du langage écrit, il vaut mieux faire appel à une coach en orthographe qu'à un spécialiste, comme, au hasard, euh... Un orthophoniste ? [J'ai entendu dire qu'elle était parente avec notre premier ministre. Info ou intox, je n'ai pas trouvé d'information claire à ce sujet, mais n'empêche que ça expliquerait bien des choses]

Bon, ceci dit, je m'enflamme, mais ce ne sont pas les orthophonistes les plus à plaindre dans cette affaire. Non, nous, nous sommes juste accusée de "coûter cher à la sécu" avec nos méthodes inefficaces et inadaptées (Mais, euh... Ce ne sont pas les mêmes qu'elle utilise ? Ben si, pourquoi ?). C'est surtout l'éducation nationale qui en prend pour son grade, accusée de "fabriquer" des "dysorthographiques purs".
Quand même, elle se dit scandalisée que des orthophonistes lui demandent des informations sur sa méthode; elle y voit le signe de notre incompétence. Moi, j'y vois surtout une volonté de mes confrères-zet-soeurs de se documenter et d'enrichir leurs interventions (après tout, si cette méthode est si formidable, pourquoi vouloir en priver les patients des orthophonistes ? Par pur intérêt mercantile ? Teuh teuh teuh, que c'est vilain de dire ça...).

Bon, ceci dit, tant qu'il y aura des orthophonistes pour faire du soutien scolaire remboursé par la sécu sous prétexte de rééducation orthophonique (oui, il y en a...), on aura du mal à être crédible.
Surtout que parfois, y'a même pas besoin d'autres professionnels que les orthophonistes pour ridiculiser la profession. J'y reviendrai (mais une seule note à ce sujet par semaine, je frise la démotivation...).


commercial vs ortho.png
Demandons à Google : à gauche, une image pour "commercial", à droite une autre pour "orthophoniste". Bon, ben ça colle pas des masses...

Je laisse le mot de la fin à une de mes consœurs qui résume parfaitement le fond de ma pensée, et qui en rajoute une louche : 

"J'ai admiré MP Thibault pour son calme impressionnant. Ceci dit, peut-être que je me trompe, je trouve que son propos, qui nous parle évidemment à nous, ortho, est moins accessible aux non-initiés que Gaignard (avec ses raccourcis, ses affirmations, son côté mélo-dramatique... bref ses exagérations). Eh oui, les vérités sont moins vendeuses... Sauf que, et peut-être, aurez-vous ressenti le contraire, bah moi je trouve que les orthos, de par leur honnêteté intellectuelle, savent moins "se vendre" et s'affirmer... Bah ouais, on n'est pas des commerciaux et ça se voit. Et sinon, je trouve qu'il manquait, pour les non initiés, un rappel sur les différents types d'orthographe (phonétique, lexicale, grammaticale). Mais globalement, contente qu'on pense aussi aux orthos pour la question de l'orthographe... " (signé Anne Frouard, oui, encore une Anne, y'en a trouze-mille dans la profession, à croire que c'est un pré-requis à la fonction d'orthophoniste, ce prénom).

Bref, nous, on est trop gentil, en fait. On ne sait pas se défendre (y'a qu'à voir le nombre de publications sur l'autisme par les psychologues, et si peu par les orthophonistes, alors que les Troubles du Spectres Autistiques, on s'en occupe nous aussi, hein, faut pas croire !) et encore moins se vendre.
Pas commerciaux dans l'âme, les orthos !
C'est peut-être ça, le fond du problème ?
Faudrait peut-être qu'on arrête d'être gentil-le-s finalement...
Mon âme de bisounours se révolte !

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Ah ah ! Quand je tape "orthophoniste + commercial", je tombe sur un site de cadeaux estempillés "speech-therapist" : !
On y trouve entre autres choses un tee-shirt comme ça :
tout_le_monde_aime_un_orthophoniste_t_shirt-rc1a5286a2f82432ba4e67f0e634a4096_f0czg_512.jpg
Et une tasse qui porte un message que je ne peux qu'approuver !
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mardi 18 décembre 2012

Mathis III, suite et... fin ?

Le deuxième et dernier rendez-vous de Mathis était prévu pour aujourd'hui, à 14h45. Maintenant, quoi... Bien sûr, tu le sens venir gros comme une maison Phénix modèle familial. Et oui.
J'ai repris à 14h cet après-midi, après une loooongue pause passée à cavaler pour aider les lutins (Noël is coming !). Quand je suis arrivée au bureau, mon répondeur clignotait.
13h05 : "Oui, c'est la maman de Mathis, vous pouvez me rappeler au XXX pour me dire si c'est bien aujourd’hui que Mathis a rendez-vous ? J'attends votre appel !"
13h23 : "Bon, c'est encore la maman de Mathis. Ben comme j'ai pas de nouvelles j'amène pas Mathis, hein. Rappelez-moi pour l'autre suivi après le déménagement s'il vous plait."
Oui, la maman de Mathis a du mal à gérer l'attente, et ne semble pas comprendre que j'ai une vie. Parfois, je dors, parfois, je mange, et parfois, j'ai autre chose à faire. Comme elle, quoi, qui a tout le temps autre chose à faire.

Je la rappelle donc dès mon retour, pour lui confirmer que oui, nous avons bien rendez-vous aujourd'hui, que j'attends Mathis dans 45 minutes, et que...
"Ah ouais mais non, c'st pas possible, là on a le camion du déménagement qui est en bas et il attend pour les cartons, alors j'peux pas venir !"
Hm... Donc en fait, quand elle m'a appelé à 13h05 elle savait déjà qu'elle ne pourrait pas venir. J'ai du mal à imaginer qu'on puisse programmer la venue d'un camion de déménagement à 13h24 (je lui laisse quand même une minute pour me laisser le message) pour 14h00. Tout ceci m'enchante.

Mais Mathis, alors, je le vois quand, pour lui dire au revoir (quand même !) et préparer la suite du suivi orthophonique après son déménagement ?
"Je vais passer vendredi, vous me préparez un courrier pour dire à l'autre orthophoniste qu'elle doit absolument lui trouver une place vite d'accord ?
- Mais, euh... Quelle orthophoniste ? Vous avez déjà contacté quelqu'un ?
- Ben non, mais j'vous ai dit qu'on partait, j'vous ai demandé d'en trouver une !
- Mais madame-la-maman-de-Mathis, ça n'est pas à moi de m'occuper de ça ! C'est à vous de contacter un orthophoniste et je lui transmettrai le dossier de Mathis, d'accord ?
- Ah oui mais non, j'ai pas que ça à faire, moi. Alors je passe vendredi et vous me donnez le courrier avec les adresses des orthos dans le coin ! Merci, à vendredi !"
Et... Elle a raccroché.

Je ne reverrai donc pas Mathis.
Ni aujourd'hui, ni un autre jour.
Et, bien sûr, il n'y a pas d'orthophoniste dans le village où il va habiter, ni même dans les environs.

Voilà, voilà...
orthophonie, déprime