Oui, cette note est encore dans la catégorie "Bibou premier,
roi des bébés", pourtant Bibou n'est plus un bébé depuis
belle lurette. Bibou est même un super grand petit garçon (oui,
c'est un concept), qui a l'âge de se coincer le doigt dans la porte
et de parcourir les services des urgences option voyage dans le temps
et retour au moyen-âge.
Mais que je t'explique...
Dimanche dernier, nous étions chez ma mère-grand en famille, et
un peu avant l'heure de l'apéro du midi (on a les repères qu'on
peut) je retrouve Bibou en larmes dans la salle de bains, la main
droite sous l'eau fraîche du robinet. Joli réflexe, Bibou, mais
pourquoi ne pas être venu me voir ? Tout simplement parce que Bibou
a fait une bêtise : il sait très bien qu'il n'avait pas le droit
d'aller dans le garage, alors quand il s'est coincé le doigt dans la
porte après le "
ouiouiouilleuh", il s'est dit
"
oups j'vais me faire gronder", donc il a essayé
de gérer ça tout seul. Oui, faites le 119, cet enfant souffre et il
est terrorisé par ses parents. C'est moche. Ma première réaction à
moi, ça a été de me dire que s'il avait cogité tout ça dans sa
p'tite tête, c'est qu'il ne devait pas avoir trop mal... Et puis
après m'avoir montré la petite trace rouge sur la pulpe de son
annulaire, il a retourné sa main, et j'ai vu son ongle. Noir. Avec
la peau violette et boursoufflée autour. OK, OK, pas de panique.
Bibou, tu peux bouger le doigt ? Oui ? Non ? ... Non.
OK, OK,
maintenant je panique.
Pas le temps de se poser trop de questions
: direction les urgences de Boulogne-sur-Mer.
Et là, comment dire ? Non, pas de pratiques moyenâgeuses, au
contraire j'ai l'impression d'être dans un épisode d'
Urgences
: tout est propre, calme, une infirmière nous prend en charge assez
vite, on patiente dans une salle d'attente claire et tranquille, avec
2 autres personnes. Un gentil interne en baskets vient nous chercher
au bout de 10 minutes, il ausculte Bibou, me rassure : pas de
fracture, et nous explique qu'il fait faire un petit trou dans
l'ongle pour que le sang coincé en dessous puisse sortir.
Une
infirmière vient l'aider : elle installe un tissu absorbant sous sa
main et prépare des compresses tandis que l'interne sort une sorte
de petit stylo chauffant pour percer l'ongle. 5 minutes plus tard,
c'est fini : le plus douloureux pour Bibou a été de voir l'interne
presser doucement son doigt pour faire sortir le sang, ça n'a pas
duré longtemps. L'infirmière lui donne un calmant, et zou, nous
repartons. Je me sens un peu bête d'être venue aux urgences pour si
peu, mais le médecin me rassure : impossible de savoir avant
auscultation si c'était grave ou pas, et sans une intervention
rapide la poche de sang aurait gonflé et aurait fait tomber l'ongle,
il aurait de toute façon fallu intervenir plus tard dans ce cas et
ça aurait été plus grave. Ouf.
En passant près de l'héliport,
nous voyons un hélicoptère atterrir, très impressionnant, ça en
rajoute au côté
"tatatataaaaaaaaaaaa Urgeeeeeences
tatataaaaaaa" même si ça n'est pas drôle du tout pour le
blessé à l'intérieur...
Bibou n'a pas le temps de réaliser :
les calmants font effet, il écrase dans son siège auto...
Fin de l'aventure ? Hélas non.
Et c'est là que ça se
corse...
Mardi soir, le doigt est bien gonflé. Mercredi, pas
mieux. Jeudi matin (hier, donc, tu suis ?) je passe des coups de fil
pour lui trouver un rendez-vous chez le médecin : pas de place avant
samedi ! Et, pas de bol, dans la journée du sang perle sous son
ongle. Et Bibou a mal. De retour à la maison, il faut se rendre à
l'évidence : un passage aux urgences s'impose... J'emmène barres de
céréales, bouteille d'eau, jeux et carnet de santé et on y va. Il
est 18h45. Sur la route de l'hôpital, je passe devant 2 cabinet de
médecins (le généraliste et le pédiatre) et je tente ma chance :
pas moyen. Bon, ben... OK, on y va alors...
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Nous arrivons aux urgences pédiatriques à 19h00.
Là-bas, on nous dit que "c'est chirurgical", donc il faut
aller aux urgences "normales". Nous y allons. On nous y dit
que non, y'a à priori pas de fracture, donc il faut retourner en
pédiatrie. On y retourne. On nous y redit que ça ne concerne pas
les urgences pédiatriques qui ne peuvent pas prendre en charge
toutes les pathologies : OK, OK, on retourne aux urgences adultes,
tout cela toujours à pieds et avec un Bibou qui pleure et qui
flippe, tout va bien. Je suis à nouveau à l'accueil des urgences,
je n'en bougerai plus, qu'on se le dise. L'infirmière m'enregistre
enfin : super, il est presque 19h30, avec tout ça on revient à la
case départ, youpi... Les urgences sont bondées, la salle d'attente
est glauque avec une télé qui diffuse Direct 8 sans le son
(remarque que je préfère sans le son vu le programme...), il y a
des fauteuils et des brancards un peu partout jusque dans le couloir
d'accueil et des gens qui s'impatientent et qui râlent parce qu'ils
attendent depuis trop longtemps. Ambiance...
Je passe sur le
temps d'attente, long, bruyant, inconfortable, on vient nous chercher
pour faire une radio. Hein ? Mais y'a pas de fracture ! "Ah
mais ça on peut pas savoir Madame." Ben si, on peut : il
bouge son doigt sans problème, et n'a pas mal sauf quand on touche à
la boursouflure autour de son ongle, et il a déjà été vu par un
médecin il y a 4 jours qui a conclu à l'absence de fracture, mais
tant pis, hein, c'est pas grave, on va faire une radio quand même,
c'est pas comme si ça allait faire perdre du temps et de l'argent à
tout le monde... Bref. Salle d'attente en radiologie, toujours une
télé mais qui diffuse les infos et avec le son (Vite, une
diversion, y'a des images pas adaptées du tout au Bibou, là, et il
commence à flipper sévère, mais on n'est plus à ça près !), on
fait les radios, ah, tiens, il n'y a pas de fracture, étonnant ! Et
on retourne en salle d'attente des urgences. Joie.
Assise en face
de nous, toute une famille attend depuis 2 heures : le papa s'est
ouvert la main, la maman est allée acheter de quoi manger au Mac-Do,
et comme il y en a trop elle en donne un peu à Bibou. Merci Madame,
les barres de céréales ne suffisaient plus. Bibou joue un peu avec
les deux garçons, ça discute Minecraft et j'entends mon Bibou qui
n'en est décidément plus un expliquer que "les zombies moi
j'les tue mais un truc de ouf !", j'en avale mon Granny de
travers...
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Ah, on nous appelle ! Une infirmière nous
accompagne dans un box. Ah non, il est occupé. Un autre ? Il faut
d'abord qu'elle le débarrasse. On attend dans le couloir, entre un
papi qui tremble et pleure dans un fauteuil et une dame qui geint
dans son brancard. Super. Je sens Bibou se décomposer. Ouf, on entre
dans le box, Bibou s'allonge sur le brancard, et nous attendons.
L'infirmière débordée fait des aller-retours entre "notre"
box et le couloir, elle sort aiguilles, compresses, médicaments,
bandes souillées qu'elle laisse sur la table à côté de nous, pas
le temps de ranger... Super.
On attend.
On attend.
On attend.
Un
interne arrive, débordé. Ils ne sont que deux médecins pour les
urgences, et ça s'entasse dans le couloir. Il regarde le doigt de
Bibou, m'annonce qu'il va falloir à nouveau percer l'ongle pour
faire sortir le sang, et puis ce sera fini. Très bien. Il va revenir
quand l'infirmière sera disponible pour le faire avec elle. En
attendant, il remplit le dossier de Bibou sur l'ordinateur. Il
repart, laisse la cession ouverte : devant moi s'affichent les noms
de tous les patients en attente de soins aux urgences.
Confidentialité : impec' ! A côté des noms, le temps écoulé
depuis l'enregistrement à leur arrivée : 2h55 pour nous. Je lis :
9h25, 10h40, et... 16h50 (!!!) pour d'autres patients.
Terrible.
Bibou s'est endormi, vaincu par KO par les émotions et
le temps qui passe.
Il dort, et moi j'attends. Pas moyen d'envoyer un message à son
père pour lui dire où on en est. Dans le couloir, une vieille dame
appelle sans cesse une infirmière, un docteur, pour qu'on prévienne
ses enfants. Trois fois déjà qu'on vient lui dire qu'ils ne peuvent
pas encore lui rendre visite, trois fois qu'elle n'écoute pas et
qu'elle continue à ressasser la même demande. Je sens la fatigue et
le découragement me gagner. Une petite demi-heure plus tard,
l'interne revient, enfin, avec l'infirmière qui ne peut pas rester :
elle est attendue ailleurs. Le médecin va se débrouiller tout seul,
avec moi.
Et là, je frémis... Pour percer l'ongle de Bibou,
l'interne sort un trombone déplié chauffé à la flamme d'un
briquet. Je ne plaisante pas. C'est VRAIMENT un trombone déplié
qu'il passe et repasse à la flamme d'un briquet de poche. Je n'en
reviens pas. L'interne non plus, qui me dit que "c'est le
moyen-âge ici". Je lui demande si Bibou va avoir une feuille de
coca à mâcher pour calmer la douleur. Il rit. Jaune. Il me dit
qu'il est le premier désolé de la situation. Moi, je crois que le
plus désolé dans l'histoire, c'est Bibou. Il s'est réveillé et il
tremble. L'interne s'approche de lui, j'attrape en vitesse deux
feuilles d'essuie-mains pour les glisser sous sa main : pas de
protection, pas de compresse, débrouille-toi toute seule, tiens...
Et là, autant jusqu'à présent je plaignais les soignants de
devoir bosser dans des conditions pareilles, autant quand l'interne a
enfoncé le trombone chauffé dans l'ongle de Bibou, je l'aurais
étripé. Il y avait déjà un petit trou, percé 4 jours avant. Il a
enfoncé le trombone si loin que Bibou s'est raidi dans mes bras, a
hurlé, et quand le sang s'est mis à couler il ne pouvait rien crier
d'autre que "j'ai mal, ça brûle sous mon ongle, j'ai mal !"
A
l'écrire, j'ai à nouveau mon ventre qui se serre et les larmes aux
yeux. Mais l'interne est déjà reparti. L'infirmière passera faire
un pansement et nous pourrons rentrer. En attendant, Bibou pleure et
tremble, les gouttes de sueur perlent sur son front et je ne peux
rien faire pour l'apaiser. Le sang coule. Tant pis si je n'ai pas le
droit, je m'en moque, quand l'infirmière est passée prendre du
matériel j'ai eu le temps de voir où tout était rangé : j'ouvre
les tiroirs, je fouille, j'attrape des compresses et j'éponge. Je
n'en reviens pas que les seringues, les médicaments, les crèmes
soient à ma disposition, comme ça. Mais là tout de suite, ça
m'arrange, parce que ça dégénère méchamment dans le couloir : la
vieille dame crie de plus en plus fort et en boucle qu'elle va crever
ici, qu'elle veut qu'on appelle ses enfants, une dame visiblement
sous l'emprise de je ne sais quelle drogue fait ses besoins au milieu
du couloir et frappe les infirmiers qui essayent de la contenir,
Bibou veut se boucher les oreilles pour ne plus entendre tout cela
mais il a trop mal au doigt pour le faire, il pleure, il a peur, il a
mal, il veut rentrer. Je suis à deux doigts de craquer et à le voir
si mal j'ai les larmes qui me montent aux yeux. Alors je m'active :
je nettoie son doigt, je le berce, lui raconte une histoire dans le
creux de l'oreille pour couvrir les bruits du couloir. Ça dure un
temps interminable. Je vois l'infirmière qui galope dans le couloir,
elle n'est pas là de nous faire le pansement. C'est long.
Encore
trois quart d'heure et enfin elle souffle, l'infirmière. Moi aussi
du coup. Elle vient faire un bandage à Bibou, qui a peur : est-ce
que son ongle va tomber ? Est-ce qu'elle va lui faire mal ? Avec des
gestes aussi rapides qu'efficaces, elle le panse et le rassure : on
va changer le pansement tous les jours et le gros bobo va partir.
Moi, je vois juste que le sang coagule déjà et que le doigt n'a pas
entièrement dégonflé, et j'ai peur de me retrouver face au même
problème dans 2 jours... Elle me rassure également : l'hématome va
rester, et la couleur grise de l'ongle aussi, mais pour le reste,
tout va bien.
On va pouvoir rentrer à la maison.
Il est bientôt
minuit.
Nous retraversons la salle d'attente des urgences, les
copains de Minecraft sont toujours là, leur papa ne sera sans doute
pas pris en charge avant 4h du matin si j'en crois ce que j'ai lu sur
l'ordinateur. Je n'ai pas le cœur de le leur dire, je leur souhaite
bon courage, laisse mes stylos aux enfants pour qu'ils puissent
dessiner un peu en attendant.
Bibou marche au radar, nous rentrons à la maison.
A minuit
passé, je peux enfin lui donner une dose de Doliprane.
Il
s'effondre dans son lit.
Demain va être une dure journée.