Soit X et X² l'âge des protagonistes et Y l'année de rencontre, calculer à partir des variables ci-dessus la valeur des larmes versées.
Bullshit.
Il y a des gens que j'ai rencontré "en vrai" peut-être 5 fois à tout casser. D'autres que je ne connais que depuis peu, tout compte fait. Des personnes que l'on ne voit pas si souvent, avec qui on échange quelques coups de fil dans l'année, deux ou trois SMS, ou même à peine quelques messages sur facebook...
La valeur n'attend point le nombre des années.
Ça ne fonctionne pas que pour les âmes bien nées, non, ça marche aussi en amitié.
De Alain, je garde le souvenir du sourire narquois derrière le comptoir, des soirées à refaire le monde, les plans sur la comètes et le programme de la journée à la piscine en sirotant un verre ("Et les p'tites sœurs, elles arrivent quand ?"), de l'énergie et de la force tranquille, du rire tonitruant. Partir en vacances chez Alain et Bernadette, c'est comme dire qu'on part en vacances en famille, comme chez tonton et tata, d'ailleurs on dit bien : "On part chez Alain et Bernadette" et pas seulement "on part en vacances en camping dans le Limousin", et ça, ça veut tout dire.
Alain, que je n'ai plus vu depuis plus d'un an et demi, et que je n'ai pas voulu voir à la maison funéraire, pour garder de lui ces souvenirs là, justement. Et les vaches blanches, rousses et noires, sur lesquelles tombent la pluie...
Et Garghan, que je peine encore à appeler Thomas, Tom-Tom, Tommy, parce que pour moi, Thomas, c'est avant tout Garghan-de-Nore, personnage pixelisé qui trimbalait ses délires dans un "meuporg" où nous partagions notre envie de rire, de partager et de déconner. D'façon, pas le choix, on avait pas le niveau pour être GB. Nafout', Garghan et Zamie, c'était le MSPSPD, la BIP et les grandes bouffes, in game d'abord, IRL ensuite, parce que Garghan a toujours eu cette générosité qui faisait passer les contingences matérielles derrière l'envie vraie de passer du temps ensemble.
Un peu avant Noël, à l'occasion d'une belle journée où il a enfin rencontré nos monstroplantes, il nous a parlé un peu de ses problèmes de santé. A peine, parce qu'il n'aime pas se plaindre et qu'il ne voulait pas nous inquiéter. Depuis, quelques coups de fils, et quand je lui ai proposé de venir le voir, il m'a dit : "Non, non, Zam-Zam, quand j'irai mieux, je préfère !". Je ne reverrai pas Thomas.
C'est la deuxième fois en quelques semaines que j'apprends la mort d'un ami.
Par facebook.
Une fois, par un message privé qui m'a laissé ahurie devant mon écran. Une autre, en découvrant les messages qui s'enchaînent sur le mur du disparu... Je ne sais pas s'il y a pire manière d'apprendre ce genre de nouvelle. Je ne sais pas s'il y a une bonne manière, d'ailleurs.
Ce qui me bouffe aussi,c'est que le lien qui nous unissait ne rendra jamais compte de l'attachement que je leur porte. Parce qu'il est "acceptable" de dire qu'on pleure un proche, mais qu'on ne fait pas rentrer dans cette catégorie le gérant du camping où on a ses habitudes, où le pote de guilde d'un jeu en ligne.
Bullshit.
Alain, Garghan, que la bougnette céleste vous accompagne dans les champs de cerisiers blancs made in Normandie.
Certains penseront que ce genre de message n'a pas sa place sur un blog, ce à quoi je répond que je fais ce que je veux, et que si ma pudeur m'a empêché d'en dire plus quand j'en avais la possibilité, je ne veux pas laisser une occasion de transmettre aux proches de Alain et de Thomas tout le bien que je pense d'eux, et tout ce qu'ils vont me manquer. Putain, oui, ils vont me manquer. Et de même qu'il n'y a pas de bonne manière d'apprendre le départ d'un ami, il n'y a pas de bonne façon de faire part de sa douleur que celle qu'on choisit.
C'est les larmes aux yeux que je rédige ces quelques lignes, puisqu'il me faut bien un exutoire et que je ne saurais pas à qui envoyer mes bouteilles à la mer : les reçoit qui le souhaite, les lise qui cela aide. Unis dans le chagrin, j'envoie à tous ceux qui pleurent comme moi ces deux formidables personnes toute la compassion, l'amour et les barres de rire qu'ils m'ont offerts