Outre le fait que j'aime beaucoup le verbe "turlupiner", c'est une interrogation sérieuse.
Et je ne suis apparemment pas la seule.
Chez les orthophonistes (ah oui, tiens, ça faisait longtemps !) le débat fait rage. Bon, OK, rage, c'est peut-être un peu fort, mais enfin, ça interpelle, quelque part.
Mais je t'explique...
Quand on souffre d'un handicap, on a le droit à des aménagements.
Quand on est dyslexique, dysorthographique, dyspraxique, dystruc ou dyschose, on a souvent le droit à un tiers-temps supplémentaire pour les épreuves écrites. Et c'est logique : quand on galère pour lire et/ou pour écrire, c'est un peu normal qu'on ait le droit à quelques aides pour compenser au mieux, non ? Si.
Donc, on remplit un dossier de demande d'aménagement. C'est le même quelque soit le handicap, avec une rubrique "autonomie" à remplir pour indiquer si l'intéressé est capable d'aller aux toilettes tout seul par exemple, ça aussi ça rassure vachement les parents d'enfants dys, youpi-tralalou. Re-bref, re-passons, et revenons à nos bouftous.
Le dossier, donc. On y coche les petites cases (j'adore cocher des cases pour parler d'un de mes patients chéris d'amour !), on remplit tout un tas de rubriques et on joint au dossier tous les éléments qui peuvent aider la commission de la MDPH de statuer sur la demande.
Et parmi les pièces à verser au dossier en cas d'aménagements de ce genre, qu'est-ce qu'il y a ? Allez, allez, tu vas trouver, c'est facile : c'est encore un acronyme en 4 lettres, la terreur des orthophonistes-à-la-bourre (comme moi), le caillou dans la chaussure de mes moments de détentes : c'est le... Le... *musique de film d'horreur* CRBO.
CRBO aka Compte-Rendu de Bilan Orthophonique, alias ma CRyBtOnite à moi.
Personnellement, je ne sais pas comment s'en sortent les collègues, mais pour rédiger un bon CRBO (avec les belles phrases, les normes et les étalonnages, les explications et tout et tout) il me faut facile une petite heure. Hors temps de passation des tests, bien sûr, je parle juste de la rédaction. Mais je ne suis pas une rapide... Ceci dit, je progresse ! Quand je suis bien lancée, je peux tenter de finir le CRBO en moins de 40 minutes, youhou, champagne et cotillons.
C'est vous dire mon désespoir actuel : j'ai fait le calcul, j'ai bien 9 CRBO à rédiger pour avant-hier. Argh...
Bon, et alors, c'est quoi le hic ? Le questionnement existentiel ? L'interrogation qui turlupine ?
Ben je vais te dire :
Ce qui m'interpelle, c'est que la commission de la MDPH et moi, on n'a pas toujours le même rapport au handicap.
Pour la dyslexie-dysorthographie, par exemple, également appelée "troubles spécifiques du langage écrit", on n'a déjà pas la même définition.
Ainsi pour la MDPH, comme pour l'Education Nationale, la dyslexie se caractérise par un déficit de plus de 2 écarts-type par rapport à la norme. Hein ? Quoi ? Je te parle chinois ? Bon, en gros, l'écart-type, c'est la moyenne de la moyenne (je te laisse faire une petite recherche avec "courbe de Gauss et écart-type" par exemple, ça va illuminer ta soirée...) : quand tu es à 0 déviation standard, ça veut dire que tu es dans la moyenne, à -1 DS ça craint mais ça va encore, et en dessous de -2 DS pif paf pouf, t'es dans le pathologique, vlan.
En gros et pour résumer très trèèèèèès sommairement,
la MDPH considère que si tes capacités en lecture et en écriture sont
très éloignées de la norme, alors tu es dyslexique (voilà, je vais me
mettre tous les membres de la MDPH à dos avec mes raccourcis, c'est
malin...).
Je précise quand même que j'ai déjà lu sur un forum réservé aux enseignants (mais j'y suis allée quand même) que cet écart de plus de 2 DS c'est "la définition même de la dyslexie". Comme quoi mes raccourcis grossiers ne le sont pas pour tous le monde. Re-re-bref.
Je précise quand même que j'ai déjà lu sur un forum réservé aux enseignants (mais j'y suis allée quand même) que cet écart de plus de 2 DS c'est "la définition même de la dyslexie". Comme quoi mes raccourcis grossiers ne le sont pas pour tous le monde. Re-re-bref.
Sauf que bon, comment dire... Ben oui, mais non.
La dyslexie, c'est un trouble qui se définit communément par exclusion : tout va bien, sauf que pour la lecture, ça va pas. Pas de problème de vue ni d'audition, pas de déficience, pas de blocage psychologique, pas de gros loupé dans le cursus pédagogique, non, non, ça va pas trop mal, merci, mais pour lire : que dalle, nada, keutchi (tiens, ça s'écrit comment ça ?), ça veut pas, ça veut pas.
Encore une fois, je fais dans la peinture de chantier, mais on pourrait présenter la dyslexie en nuances de pastels, hein, mais bon, on n'a pas trois heures non plus devant nous...
Ah, précision importante : la dyslexie est un trouble. Un trouble et un retard, ça n'est pas la même chose. Du tout. Un retard, ça se rattrape. Un trouble, ça se compense, mais ça ne se "rattrape" pas.
La dyslexie, c'est un trouble qui se définit communément par exclusion : tout va bien, sauf que pour la lecture, ça va pas. Pas de problème de vue ni d'audition, pas de déficience, pas de blocage psychologique, pas de gros loupé dans le cursus pédagogique, non, non, ça va pas trop mal, merci, mais pour lire : que dalle, nada, keutchi (tiens, ça s'écrit comment ça ?), ça veut pas, ça veut pas.
Encore une fois, je fais dans la peinture de chantier, mais on pourrait présenter la dyslexie en nuances de pastels, hein, mais bon, on n'a pas trois heures non plus devant nous...
Ah, précision importante : la dyslexie est un trouble. Un trouble et un retard, ça n'est pas la même chose. Du tout. Un retard, ça se rattrape. Un trouble, ça se compense, mais ça ne se "rattrape" pas.
Du
coup, présenter la dyslexie comme un simple écart par rapport à la
norme, c'est forcément très réducteur. Et ça ne marche pas !
Tiens, prenons deux exemples volontairement exagérés, pour illustrer le schmilblick :
n°1 - Pimprenelle
est une charmante jeune fille dont la motivation par rapport au travail
est au moins aussi faible que mes chances de gagner à l'Euro-Million
(surtout que je n'y joue pas), et dont le poil dans la main peut être
comparé à un baobab centenaire. Pimprenelle n'est pas déficiente, elle
n'est pas dyslexique, juste elle s'en bat l'oreille avec une patte de
zébu de l'école, et de tout ce qui va avec. Comme elle n'est pas bête,
elle a réussi à passer de classe en classe, toujours limite, avec un ou
deux maintiens quand même (on ne dit plus redoublement, hein ! 'tention
!), mais bon, les résultats c'est pas ça... Arrivée en 3ème, elle a un
niveau tellement exécrable en lecture et en écriture que d'aucuns se
demandent si, quand même, elle ne serait pas dyslexique, ou
dysorthographique, ou les deux... Elle fait des tests et BAAAM : les
résultats sont dans les choux, et même encore plus, limite au niveau des
racines, hop, elle est en dessous des fameux -2 écarts-types.
Pimprenelle en plein effort. Elle vient de passer 1h à tchatter au lieu de faire ses devoirs, et quand on se moque de son orthographe calamiteuse elle réplique "T tro nul, C paske chui dissleksik ! lol "
n°2 - Toto
est un chouette gamin curieux et ouvert, vif et intelligent, mais pas
de bol, lui, il est dyslexique. Un vrai, un tatoué, un pour lequel le
diagnostic ne fait aucun doute. Ah ça, il en a eu des séances de
rééducation avec son orthophoniste, il en a fourni des efforts, en
classe, à la maison, tous les jours et partout, pour pallier à ses
difficultés, pour compenser, pour trouver le moyen d'y arriver malgré
tout, pour contourner le problème et arriver au résultat comme les
autres ! Du coup, Toto, quand en 3ème il est face à son DS, il s'en
sort. Plutôt pas mal, même. Bon, OK, ça lui demande toujours un peu plus
de temps et d'énergie que les autres, mais dans l'ensemble il s'en sort
bien ! Et si on lui fait passer des tests ? Pas mal, Toto, pas mal ! Il
compense tellement bien que, malgré une petite lenteur, il arrive à des
résultats proches de la norme.
"Hey ! y'a deux A au milieu du rond, c'est rigolo ! ... C'est quoi comme mot, sinon ?" s'exclame Toto en CE1. Moui, presque...
Maintenant,
repense à ce que je t'ai expliqué avant, concernant les normes, les
obtentions de tiers-temps, tout ça... Qui va l'avoir, l'aménagement pour
les examens, Pimprenelle ou Toto, hm ?
Alors certes, j'exagère. Mais pas tant que ça. Ça pose vraiment question, c't'histoire, vois-tu.
Ne serait-ce que parce que des demandes de "bilan pour tiers-temps" *, j'en ai plein. De plus en plus. Parfois (souvent !) pour des jeunes qui n'ont jamais eu de suivi orthophonique, parfois 10 ans après la fin d'une prise en charge, parfois... Pour rien. Mais parfois, aussi, on découvre des jeunes dyslexiques vrais, qui ont plus ou moins compensés tout seuls, qui s'en sortent pas trop mal, mais quand même plutôt mal que bien, et qui respirent le jour où on leur explique que oui, en fait, ils sont dyslexiques, et pas fainéants / dans la lune / pas doués.
Ne serait-ce que parce que des demandes de "bilan pour tiers-temps" *, j'en ai plein. De plus en plus. Parfois (souvent !) pour des jeunes qui n'ont jamais eu de suivi orthophonique, parfois 10 ans après la fin d'une prise en charge, parfois... Pour rien. Mais parfois, aussi, on découvre des jeunes dyslexiques vrais, qui ont plus ou moins compensés tout seuls, qui s'en sortent pas trop mal, mais quand même plutôt mal que bien, et qui respirent le jour où on leur explique que oui, en fait, ils sont dyslexiques, et pas fainéants / dans la lune / pas doués.
* pirouette cacahouète :
ah non, désolée madame/monsieur, je ne fais pas de "bilan de tiers
temps", je fais des bilan orthophoniques d'investigation (et j'y tiens
!).
Alors voilà. Je m'interroge.
Dois-je sortir ma coquille de Caliméro ? Ou est-ce que je pars en vrille pour rien ?
Un dyslexique qui a compensé a-t-il plus le droit qu'un "dysréfléchi" à des aménagements ?
Où commence le trouble ? Où finit le retard ?
Pourquoi, pourquoi tant de questions sans réponses ?
Dois-je sortir ma coquille de Caliméro ? Ou est-ce que je pars en vrille pour rien ?
Un dyslexique qui a compensé a-t-il plus le droit qu'un "dysréfléchi" à des aménagements ?
Où commence le trouble ? Où finit le retard ?
Pourquoi, pourquoi tant de questions sans réponses ?
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"Allo, j'ai bien reçu le compte-rendu de bilan orthophonique, mais ça ne va pas du tout, avec votre conclusion ils ne vont pas lui accorder le tiers temps, là, vous pouvez me changer ça ?"
Et 10 balles et un mars aussi ?
(message laissé le 09/10) "Oui, bonjour, je vous appelle pour prendre rendez-vous pour un bilan orthophonique pour un tiers-temps s'il vous plaît. Il me faudrait le compte-rendu pour le 15 octobre, pour le dossier de demande d'aménagement. Merci de me rappeler au XXXXXXX"
Mais oui bien sûr.
- Oui, j'appelle pour un bilan de tiers temps pour ma fille qui est en 3ème parce qu'il y a un dossier à rendre en urgence, là.
- Euh, oui, avant toute chose expliquez-moi, qu'est-ce qui motive votre demande ?
- C'est parce qu'elle est dyslexique.
- D'accord, elle a déjà eu un suivi orthophonique ?
- Non, non, c'est le prof de Français qui l'a vu.
- Mais elle n'a jamais rencontré d'orthophoniste ?
- Ben non.
- Euh, c'est à dire que... Les enseignants ne peuvent pas poser de diagnostic de dyslexie comme ça, vous savez. Moi je peux vous proposer un bilan pour faire le point sur les compétences et difficultés de votre fille, et mettre en place une rééducation si besoin.
- Non mais ça, j'en ai pas besoin, je veux juste qu'elle ait son tiers temps !
("Au revoir madame !" - restons caaaaaalme... )
- Ah bon ? Ch'uis pas dyslexique ? Rho m...e j'aurais du faire plus de fautes, j'aurais eu le tiers-temps au moins...
(jeune fille de 16 ans, bac de Français à la fin de l'année, comment faire pour avoir des points : "tiens, et si je demandais un tiers-temps ?")
#pandansag comme on dit entre nous, mais on se retient...
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